De la politique à l'insurrection

De la politique à l'insurrection

En mars 1954, le MTLD se scinde en deux. On voit d'une part les partisans de Messali Hadj et du MTLD historique, et de l'autre ceux de Lahouel et des centralistes. C'est ce dernier qui récupère les documents et le trésor de guerre du mouvement.
La majeure partie des membres se tournent vers Messali. Les durs n'ont plus d'espoir de voir le peuple participer activement à la vie politique de l'Algérie. Ils décident de créer un nouveau mouvement.
Le 23 mars 1953, le Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Action (CRUA) est créé par deux anciens de l'OS, Mostefa Ben Boulaid et Mohamed Boudiaf et par deux centralistes Mohamed Dekkli et Ramdhane Bouchbouba.

Boudiaf et Ben Boulaïd
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Le CRUA créé, il faut maintenant lui donner de la consistance. Les leaders du mouvement vont dans un premier temps tenter de convaincre les représentants du MTLD basés au Caire de les rejoindre.
Ben Bella est déjà gagné à l'idée de la création d'une troisième force, mais il prévient que les services spéciaux égyptiens ne sont pas chauds pour fournir armes et argent, tout au moins au début, tant que le CRUA n'aura pas fait ses preuves.

Ben Bella
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Le mouvement qui devra démarrer la révolution par ses moyens propres réussit à s'approprier les armes de l'ancienne Organisation Secrète aujourd'hui disparue.
En avril 1954 le CRUA ne compte que sur cinq Hommes ; Boudiaf, Didouche, Ben M'Hidi, Ben Boulaïd, Rabah Bitat et sur leur contact du Caire Ben Bella.
Une tentative de réunir le MTLD historique de Messali et les centralistes de Lahouel autour de leur mouvement échoue.
Lahouel en fin tacticien reste en contact avec les leaders du comité espérant le ramener au sein des centralistes pour donner l'estocade à Messali.

Krim Belkacem
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Face à l'impossibilité de rassembler les deux branches du MTLD autour du CRUA, les leaders se lancent dans une campagne de recrutement d'hommes sûrs et motivés.
Avec beaucoup de difficultés Ben Boulaïd chef des combattants des Aurès réussit à convaincre Krim Belkacem et ses Kabyles de se joindre au groupe.
Le recrutement est lancée au quatre coins de l'Algérie avec comme mot d'ordre le cloisonnement ; chaque leader recrute trois hommes de niveau n-1 qui recrutent eux-mêmes trois hommes de niveaux n-2, etc.
Les n-2 ne connaissant pas le niveau n, le risque de voir remonter la filière reste quasi nul.

L'annonce de la défaite de Diên Biên Phu est perçue comme un véritable cataclysme chez les Européens mais comme un stimulateur chez les Algériens indigènes.
Lors d'une réunion des leaders du CRUA en mai 1954 le pays est découpé en wilayas, zones d'action indépendantes. La Kabylie réussit à négocier son autonomie au sein du groupe.

Pendant ce temps, les services spéciaux français sont informés par un agent de renseignement infiltré qu'un groupe composé d'anciens membres de l'OS s'est constitué.
Depuis longtemps le colonel Schoen avait prévenu les autorités que quelque chose de grave se tramait en Algérie mais les préfets et l'administration étaient plus préoccupés par la politique et les élections truquées que par les frémissements révolutionnaires.

Alors que Bitat et Boudiaf se rendent chez Ali pour déjeuner, ils sont tabassés par deux hommes de main du vieux Messali qui n'accepte pas la concurrence que lui fait le CRUA. Les deux hommes recherchés par la police échappent de peu aux forces de l'ordre.
Le lendemain, le siège et les distributeurs de journaux du MTLD sont mis à sac par un commando du CRUA qui montre ainsi sa détermination.

Le récit de ces querelles intestines arrive aux oreilles du colonel Schoen qui sent la tension augmenter au sein des deux groupes et à celles de Coste chef des RG qui s'en réjouit.

Le 3 juin 1954, lors d'une réunion du CRUA, le découpage définitif en six wilayas est décidé :

  • Didouche prend la responsabilité du Nord-Constantinois
  • Rabah Bitat prend celle de l'Algérois
  • Ben M'Hidi contrôle l'Oranie
  • Ben Boulaïd prend les Aurès
  • Krim Belkacem garde la Kabylie
  • Le leader de la sixième reste encore à définir.

Boudiaf assure le contact avec l'extérieur (Le Caire) et assure la coordination entre les différentes zones.

La présidence du CRUA est assurée par Boudiaf. Au cours de cette réunion, le groupe décide de ne plus attendre et de lancer l'insurrection très rapidement.
Au Caire, Ben Bella, Aït Ahmed et Khider sont favorables à une action immédiate.

Juin-juillet 1954 sont consacrés à la réalisation des plans, à la transformation des idées en programme d'actions, à la formation des hommes et au recrutement. La principale préoccupation du CRUA est de trouver l'argent nécessaire à son fonctionnement. Il manque cruellement.

Le 18 juillet 1954, Pierre Mendès France arrive au pouvoir. Lorsqu'il s'installe derrière son bureau au Quai d'Orsay, ses préoccupations sont bien loin de l'Algérie. Le sort de l'Indochine est bouclé et il devra négocier au mieux les clauses de l'indépendance de la République démocratique du Vietnam.
Il sait que la domination des colons ne tiendra pas longtemps au Maroc et en Tunisie et qu'il faut penser à y mettre un terme.

Il a été mis au courant par François Mitterrand que quelque chose se trame en Algérie et il est prêt à discuter avec les nationalistes pour faire avancer les réformes.
Ses prises de position sont très mal perçues par le colonat qui redoute de perdre ses privilèges. Les pires ennemis de Mendès France seront ses frères de parti.

Trois hommes ont une influence considérable en Algérie en 1954 ; Borgeaud, Blachette, Schiaffino. Ces trois hommes aux parcours bien différents sont immensément riches et ont tissé des liens privilégiés avec les milieux politiques.
Ils sont adversaires mais ont un objectif commun : que l'Algérie reste française. Du fait de leurs nombreuses relations politiques, ils peuvent avoir une action déterminante sur le fragile équilibre des gouvernements de la IVe république. Mendès France en fera les frais.

Borgeau évolue dans la bourgeoisie réactionnaire, Blachette dans le libéralisme et Schiavano dans l'ultra dur.

L'échec du rassemblement du MTLD et des centralistes autour du CRUA  et l'Egypte qui attend de voir ce qui se passe confirment que les six ne pourront compter que sur leurs moyens propres pour lancer l'insurrection.

Le 25 juillet 1954, le CRUA valide la distribution des wilayas et l'organigramme des secteurs. À partir de cette date, les efforts vont se porter sur l'organisation du mouvement, le recrutement, l'entraînement des hommes et la fabrication de bombes et de grenades artisanales.

Alors que tout semble calme en Algérie, le directeur de la sûreté Jean Vaujour accumule des informations très inquiétantes sur ce qui se passe sur le terrain. Il demande des renforts en hommes et en matériel.
Il a beau multiplier les courriers alarmistes mais rien ne se passe. C'est à ce moment qu'il comprend que dans les hautes sphères de l'État, l'Algérie n'intéresse personne.

Pierre Dubuch est nommé préfet de Constantine en juillet 1954. Le ministre de l'Intérieur l'avait prévenu qu'il allait avoir du travail dans cette région.
À peine arrivé à Constantine, Dubuch découvre que la prédiction ministérielle se réalise. Des gendarmes sont accrochés dans la région de Souk-Ahras et au sud de Tibissa par des fellaghas tunisiens. Dans cette région montagneuse, les assaillants se fondent dans la nature après leur méfait.

10 octobre 1954, le Gouverneur général Roger Léonard est inquiet. Vaujour l'a mis au courant de la création de commandos d'action du CRUA. Lorsqu'avec Cherrière il avait fait le point sur l'armée d'Algérie en septembre, il s'était aperçu qu'elle disposait de 75 000 hommes encasernés incapables de parcourir le bled faute de moyens et d'entraînement. Le ministre de la guerre Koenig lui avait signifié lors d'une entrevue à Paris qu'il ne pouvait opérer aucun renforcement sérieux avant Pâques 1955 sauf, peut-être, quelques gardes mobiles et quelques mulets pour faire sortir la troupe.

Ce même jour, les leaders du CRUA se réunissent pour changer le nom du mouvement qui n'a pas réussi à réunir autour de lui les deux fractions du MTLD, et pour définir la date de l'insurrection. Après bien des tergiversations le mouvement prend le nom de Front de Libération National (FLN) et son bras armé celui d'Armée de Libération Nationale (ANL).

La date de l'insurrection est fixée au 1er novembre 1954. Les grandes lignes de la déclaration publique sont validées au cours de cette réunion.

Le dimanche 24 octobre 1954, les six du FLN se font photographier en groupe chez un petit photographe de l'avenue de la Marne.

Les six du FLN
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Les dernières retouches au plan d'action sont réalisées. Le mot d'ordre lancé par les six en préparation des actions est le suivant :
"il faut créer un climat de psychose et de peur et d'insécurité chez les Européens mais interdiction absolue d'attaquer des civils européens".

Dans la dernière semaine d'octobre, une recrudescence d'actions armées menées par des fellaghas est constatée par les autorités qui restent persuadées que ces attaques sont ponctuelles et locales.

Sources :

  • Yves Courrère "Les fils de la Toussaint"
  • wikipedia.org
  • wikimedia commons

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Date de création : 02/02/2020 09:35
Catégorie : - Guerre d'Algérie-Guerre d'Algérie
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