Le massacre de Sétif

Le massacre de Sétif, 8 mai 1945

La guerre d'Algérie a commencé à Sétif, Guelma et Kherrata le 8 mai 1945 et non le jour de la Toussaint 1954.
Même si la trêve a duré 9 ans du fait de la difficulté aux mouvements indépendantistes à se rassembler, le massacre dans le Constantinois a conduit à un conflit armé inévitable.

synopsis

Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata font suite à un affrontement sanglant entre manifestants indépendantistes algériens et les forces de l'ordre. En représailles, l'armée française suppléée par des civils pieds-noirs armés va déclencher un véritable carnage.

Le 8 mai 1945, un défilé est organisé pour fêter la fin de la Seconde Guerre mondiale et la victoire des Alliés sur les forces de l'Axe. Les mouvements nationalistes algériens profitent de cette journée particulière pour manifester et exprimer leurs revendications. Les autorités autorisent ces manifestations à condition que seuls les drapeaux français soient brandis.
À Sétif, après des heurts entre nationalistes et force de l'ordre la situation dégénère. Un jeune manifestant tenant un drapeau de l'Algérie est tué par un policier français. S'ensuivent alors des tueries contre les Européens et des représailles disproportionnées contre la population musulmane.

On dénombre 104 morts parmi les Européens et autant de blessés. Il est impossible à l'heure actuelle d'établir le nombre exact de victimes musulmanes tant les chiffres varient. Les autorités françaises de l'époque parlent de 1165 victimes. Le PPA annonce 45000 morts. Les historiens qui ont étudié le sujet donnent des chiffres compris entre 3000 et 30000 morts.

Contexte

Courant 1944, Ferhat Abbas (AML) et Messali Hadj (PPA) projettent un congrès clandestin qui proclamerait l'indépendance. Les deux grands leaders se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour brandir le drapeau de l'indépendance.
Le 23 avril 1945, Messali Hadj, chef du Parti du Peuple Algérien interdit par les autorités françaises, est emprisonné et déporté à Brazzaville. Ses partisans profitent des manifestations des 1er et 8 mai pour exiger la libération de leur chef et exprimer leurs revendications indépendantistes.

Ferhat Abbas, dirigeant des Amis du Manifeste et des Libertés demande aux musulmans qui s'apprêtent à entrer en guerre de s'assurer qu'ils ne perdront pas les droits et libertés dont jouissent les autres habitants du pays.
Le 1er mai, une manifestation du PPA réunit 20000 personnes à Alger, dans la rue d'Isly. Pour la première fois, le drapeau indépendantiste est agité en public. La manifestation se solde par 11 morts et de nombreuses arrestations.
Les dirigeants nationalistes algériens espèrent beaucoup de la première réunion de l'ONU où sera rappelé le droit à l'autodétermination proclamé par Franklin Roosevelt le 14 août 1941.

Carte des  manifestations ; wikimedia commons
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Le 8 mai 1945 à Sétif

À Sétif, une manifestation nationaliste, géographiquement séparée des manifestations officielles, est autorisée à condition qu'elle n'ait pas de caractère politique : "aucune bannière ou autre symbole revendicatif, aucun drapeau autre que celui de la France ne doit être déployé. Les slogans anti-français ne doivent pas être scandés. Aucune arme, ni bâton, ni couteau ne sont admis."
À 7 heures un régisseur municipal des marchés est assassiné ; aucune alerte n'est donnée bien que le sous-préfet soit au courant.

La manifestation démarre vers 8 heures. Elle réunit entre 8000 et 10000 personnes qui chantent l'hymne nationaliste, arborent les drapeaux des Alliés et brandissent des pancartes sur lesquelles est inscrit : "Libérez Messali", "Mort au colonialisme".
Vers 8h45 apparaissent des banderoles sur lesquelles on peut lire "Vive l'Algérie libre et indépendante". En tête de cortège Aissa Cheraga, chef de patrouille des scouts musulmans agite un drapeau indépendantiste vert et rouge.

Manifestation comparable à celle de Sétif ; wikipedia commons
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Tout dérape devant le café de France, le commissaire Olivieri tente de s'emparer du drapeau, mais il est jeté à terre. Aussitôt des Européens assistant à la scène se précipitent dans la foule. Les porteurs de banderoles et du drapeau refusent de céder aux injonctions des policiers. Des tirs entre manifestants et policiers sont échangés sans que l'on sache exactement qui a commencé.
Bouzid Saâl, jeune homme de 26 ans s'empare du drapeau vert et blanc mais il est abattu par un policier. Le cortège se disperse alors au cri de "tuons les Français, tuons les Juifs".
En quelques heures la foule massacre une trentaine d'Européens et blesse une soixantaine d'entre eux (les chiffres varient selon les sources). La police riposte et ouvre le feu ; on compte une quarantaine de tués et 80 blessés chez les indigènes musulmans. À 11h30 tout est terminé.

Manifestation à Sétif ; wikimedia commons
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À 13 heures le couvre-feu est proclamé et les cérémonies sont annulées. Les tirailleurs algériens arpentent les rues.
La situation se calme à Sétif mais au même moment, des massacres atroces d'Européens ont lieu dans des fermes isolées de la région montagneuse de petite Kabylie.

Le 8 mai 1945 à Guelma

À Guelma, la manifestation n'est pas autorisée. À 15 heures, la cérémonie officielle se déroule sans problème sous la protection des forces de l'ordre.

Entre 16 heures et 17 heures, une manifestation indépendantiste s'ébroue depuis le cimetière Kermat. Les leaders du mouvement ont donné la consigne de ne porter aucune arme. Près de 5000 jeunes et 500 paysans des Douars(1) environnants venus pour le marché participent à cette manifestation. Ils brandissent le drapeau français et ceux des Alliés mais aussi le drapeau algérien et des banderoles revendicatives sur lesquelles on peut lire : "Vive la démocratie", "Vive l'Algérie", "Libérez Messali", Vive la charte transatlantique", "A bas le colonialisme". Ils défilent en bon ordre en chantant l'hymne nationaliste et en criant "vive la liberté algérienne".

À 18h30, le cortège arrive à la place Saint-Augustin, au centre-ville, où se sont achevées les cérémonies officielles de la victoire que suivaient d'ailleurs la plupart des leaders de l'AML depuis le café glacier. Le bruit de la colonne qui arrive dans le quartier européen inquiète les Français qui s'y trouvent. Le sous-préfet André Achiary se précipite vers la tête de cortège en compagnie du maire, de plusieurs notables et de 18 policiers et gendarmes.
Achiary demande aux jeunes de se disperser mais sous la pression des derniers rangs, le cortège continue d'avancer. Le sous-préfet est bousculé et frappé par un manifestant. Il sort son révolver et tire en l'air sur le drapeau algérien qu'il arrache.

Les forces de l'ordre chargent à leur tour pour disperser la foule. Le porte-drapeau de la manifestation est tué par un policier musulman. Le secrétaire de l'AML est tué par une balle perdue. Le cortège se disloque dans un mouvement de panique générale, plusieurs manifestants et policiers sont blessés.
Aucun Européen n'est attaqué dans Guelma à l'inverse de Sétif mais dans la campagne environnante 19 Européens sont tués et une quinzaine blessés. Les manifestants sont refoulés hors de Guelma et le couvre-feu est instauré.

Le sous-préfet Achiary ordonne l'arrestation des membres du bureau de l'AML qui étaient au café glacier. Un père et ses deux fils membres de l'AML de Guelma sont arrêtés et leur maison est fouillée. Les papiers trouvés dans celle-ci permettent aux policiers de dresser la liste des membres de l'AML de cette localité. Plusieurs autres membres de l'AML sont arrêtés à leur domicile et emprisonnés.
Pendant toute la nuit, des policiers et gendarmes patrouillent dans Guelma, des mitrailleuses sont mises en position à chaque carrefour.
Estimant les évènements assez graves et ne disposant pas des moyens suffisants pour gérer la situation, Achiary crée un comité de vigilance pour mater la "révolte arabe intérieure". Cette milice rassemble 280 personnes dotées d'armes de guerre ou de chasse.
Le lendemain, des fermes isolées et des localités du Constantinois sont attaquées par les émeutiers. Hommes, femmes et enfants tout y passe. On dénombre 104 Européens tués, dont certains atrocement mutilés.

Le 8 mai 1945 à Kherrata

Contrairement à Sétif et à Guelma, il n'y a pas de défilé prévu à Kherrata pour fêter la fin de la Deuxième Guerre mondiale, mais un rassemblement de près de 10000 personnes a lieu.

Des cadavres sont découverts par les militaires, dont celui du juge de paix et de sa femme. Dans la maison forestière de Tamentout les deux gardes, leur femmes et deux enfants de 10 et 3 ans sont massacrés.

Le lendemain, l'armée française tire sur la population de Kherrata et des villages avoisinants. Le croiseur Duguay-Trouin pilonne les crêtes des monts de Babor.

Les représailles de l'armée française

Dès le 9 mai 1945, les autorités lancent une vague de répression. Les actions sont menées avec 10000 soldats, dont quelques troupes indigènes sur les localités où les Européens ont été attaqués. 47 Algériens musulmans sont exécutés à Amoucha.
L'aviation et la Marine sont mises à contribution et tirent dans le tas ; beaucoup d'innocents sont tués. Le croiseur "Duguay-Trouin" et le contre-torpilleur "Le Triomphant" tirent plus de 800 obus dans la région de Sétif.
Les automitrailleuses et les blindés patrouillent dans les villages et tirent sur les villageois. La milice armée se livre à une véritable chasse à l'homme.

Massacre de Sétif ; wikimedia commons
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À Guelma, le 9 mai 1945, le sous-préfet Achiary et le chef de la milice créent un tribunal d'exception. Les suspects et sympathisants sont arrêtés et emprisonnés. Les meneurs indépendantistes sont exécutés.
Le 11 mai, le général de Gaulle chef du gouvernement provisoire de la République française ordonne l'intervention de l'armée pour mater la rébellion. C'est le général Duval avec ses deux mille hommes qui se charge de la répression. L'armée opère une véritable rafle parmi la population. Les prisons débordent, plusieurs bâtiments sont réquisitionnés pour héberger les prisonniers. Les exécutions sommaires se multiplient. Jugés hâtivement, les condamnés sont conduits par camion jusqu'aux lieux de leur mise à mort. Les cadavres des musulmans s'entassent, ils sont inhumés dans des fosses communes ou brûlés dans le four à chaux d'Héliopolis pour effacer toutes traces du massacre.

Représailles dans le Constantinois ; wikimedia commons
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Les exactions vont continuer jusqu'à l'arrivée du ministre de l'Intérieur Adrien Tixier à Guelma le 26 mai 1945.

À la demande du ministre de l'Intérieur, une commission menée par le général de gendarmerie Tubert est chargée d'enquêter sur les évènements. Tout sera fait pour plomber son enquête et étouffer l'affaire. Le rapport Tuber passe au pilon, mais quelques exemplaires ayant échappé à la destruction confirment les déclarations du général Duval sur l'ampleur de la répression et sur l'étendue de la vague indépendantiste.

22 mai 1945 ; wikimedia commons
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Peu d'Européens protestent contre ces massacres. Les partis de gauche en France, dont le PCF par le biais du journal l'Humanité, appellent à châtier les émeutiers. À contrario, Albert Camus directeur de Combat en Algérie somme la presse française de refuser les appels inconsidérés à une répression aveugle.

Dans son communiqué du 10 mai, le gouvernement général commente les évènements de cette façon : "Des éléments troubles, d'inspiration hitlérienne, se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation de l'Allemagne nazie. La police, aidée de l'armée, maintient l'ordre et les autorités prennent toutes les décisions utiles pour assurer la sécurité et réprimer les tentatives de désordre."

De nombreux militants et dirigeants du PPA, de l'AML et de l'association des Oulémas sont arrêtés.

Le nombre des victimes

Le nombre des victimes européennes est bien connu, 104 morts et 110 blessés auquel il faut ajouter quelque 900 musulmans tués par les émeutiers.

En revanche, le nombre de victimes indigènes musulmanes à la suite de la répression par les autorités civiles et militaires est mal connu. Il varie selon l'époque et les sources entre 1165 et 45000.
Quoi qu'il en soit il est très important. On peut estimer que la juste valeur se situe autour de 20000 morts.

Instrumentalisation

Les massacres de mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata vont être instrumentalisés à des fins de propagande par les indépendantistes musulmans qui mentionneront la répression et tairont le projet d'insurrection.
L'émeute de Sétif n'est pas due à l'indignation provoquée parmi les manifestants par la mort du porte-drapeau Saâl Bouzid mais à une véritable insurrection armée qui a fait 23 morts et 80 blessés européens à Sétif dont le régisseur du marché Gaston Gourlier tué 2 heures avant le début de la manifestation (Vétillard) et d'autres par armes à feu dans les minutes qui ont suivi les altercations entre forces de l'ordre et manifestants.
Les forces de l'ordre interviennent et ramènent le calme en moins de 2 heures: 35 manifestants sont tués, des dizaines sont blessés. Au même moment, et dans plusieurs endroits, parfois sans lien évident avec la manifestation de Sétif, d'autres soulèvements ont lieu dans une vingtaine de localités de la région (Périgotville, Chevreul, Kerrata, Lafayette, Sillègue, El Ouricia…) ; plus de 60 Européens sont tués.

Conséquences

Le général Duval, chargé de rétablir l'ordre dit à cette occasion au gouvernement colonial : "je vous donne la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable ; à vous de vous servir de ces dix ans pour réconcilier les deux communautés".
Pour de nombreux militants nationalistes, le massacre symbolise la prise de conscience que la lutte armée reste la seule solution pour réduire les inégalités et accéder à l'indépendance.

Notes :

(1) Groupement d'habitations fixe ou mobile, temporaire ou permanent, réunissant des membres d'une même famille fondée par un patriarche.

Sources :


Date de création : 27/11/2019 15:48
Catégorie : - Guerre d'Algérie-Guerre d'Algérie
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