Bataille de Cao Bang

Bataille de Cao Bang ou de la RC4

D'après le dossier de Marina Berthier documentaliste à ECPAD

Sommaire :

La montée en puissance des troupes viêtminh en 1949-1950
Les troupes françaises d'Extrême-Orient au Tonkin.
Les postes de la RC4
La chute de Dong Khê
Le désastre de Cao Bang
Le bilan
La panique du Haut-commandement français.
Conclusion

Montée en puissance du Viêt Minh

En fin 1949, les communistes chinois vainqueurs des nationalistes créent la République populaire de Chine. Ils  prennent le contrôle des zones frontalières chinoises après la défaite des armées de Chang-Kaï-Chek.
Les dernières armées nationalistes se dispersent. Un corps d'armée de 40 000 hommes se replie derrière la frontière du Tonkin et demande l'autorisation de traverser le pays.
Cette autorisation lui est refusée par les Français qui désarment et internent les unités qui se présentent à la frontière. La présence de communistes chinois à la frontière et de nationalistes en retraite fait craindre à la France une ingérence chinoise au Tonkin.
Tombée dans le giron communiste la Chine met à disposition du Viêt Minh les anciens camps américains situés sur son territoire.

Nationalistes chinois fuyant l'armée communiste ; photo Ecpad
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Désarmement de l'armée nationaliste chinoise par les Français ; photo Ecpad
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Dans ces camps, les unités viêtminh sont organisées, entraînées et équipées de façon moderne. La guerre change d'allure et passe de l'état de guérilla à celui de guerre conventionnelle.
Le Viêt Minh dispose d'une puissante artillerie et de moyens logistiques fournis par la Chine et par l'URSS qui devient en 1949 une puissance nucléaire.
Cette montée en puissance du Viêt-Minh qui n'a pas échappée au 2e bureau français passe totalement inaperçue aux yeux du commandement français plus préoccupé d'une possible invasion chinoise.
Cette nouvelle armée vietminh forte de 6 divisions en 1950 va montrer sa puissance lors du désastre de la RC4.

Poste de Cao Bang ; photo Ecpad
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Les TFEO(1) au Tonkin

En novembre 1947 la zone sino-tonkinoise est réoccupée par les troupes françaises lors de l'opération Léa conduite par le général Salan. La région abritait les principaux organismes de commandement politique et militaire du Viêt-Minh ainsi que des dépôts de matériels, des zones d'ateliers et des troupes de l'armée populaire.
Après plusieurs mois d'opérations dans le Haut Tonkin à l'automne 1947, les troupes françaises bousculent l'organisation et la logistique du Viêt-Minh sans pour autant le neutraliser. Le secteur est dorénavant sous le contrôle des TFEO qui créent une centaine de petits postes sur près de 100 kilomètres le long de la route coloniale 4 entre Lang Son et Cao Bang. Cette route qui longe la frontière sino-tonkinoise contrôle les points d'approvisionnement du Viêt-Minh à partir de la Chine. De nombreux supplétifs sont recrutés parmi la population.

Atelier clandestin Viêt-Minh
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La priorité du Haut-commandement français est donnée à la pacification du delta tonkinois(2). À cette occasion, plusieurs bataillons de la RC4 sont rapatriés vers le delta. Cela contribue à l'affaiblissement des troupes françaises de la RC4 alors que dans le même temps le territoire à contrôler s'est considérablement agrandi. De plus, ces troupes sont de plus en plus sujettes aux embuscades où l'ennemi est invisible et insaisissable.

À l'été 1950, le Viêt Minh dispose d'une armée avec laquelle il faudra compter. La guérilla se transforme peu à peu en guerre conventionnelle qui impose au commandement français de choisir entre pacifier le delta ou détruire le Viêt Minh.

Délégation américaine en Indochine ; photo Ecpad
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Délégation américaine en Indochine ; photo Ecpad
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Délégation américaine en Indochine ; photo Ecpad
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Délégation américaine en Indochine ; photo Ecpad
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Les postes de la RC4

Le long de la RC4, la place forte de Cao Bang ainsi que les postes de Dong Khé et That Khé verrouillent les voies de communication du Haut-Tonkin et empêchent l'approvisionnement du Viêt-Minh depuis la Chine.
En juin 1949, après son inspection en Indochine, le chef d'état-major de l'armée, le général Revers rédige un rapport qui préconise l'abandon de ces postes. Il précise que la situation est déjà difficile pour ces postes et qu'elle deviendra intenable quand les troupes communistes chinoises approcheront la frontière.
Un an plus tard quand l'armée populaire chinoise se trouve à la frontière sino-tonkinoise, le général Carpentier hésite à retirer et à replier ses forces de la RC4. Bien qu'il se trouve en phase avec le rapport Revers, il redoute l'effet psychologique d'une mesure aussi radicale. Le général Alessandri qui commande la zone opérationnelle du Tonkin est opposé à l'évacuation des postes de la RC4 comme l'est d'ailleurs le haut commissaire Pignon qui craint pour les minorités ethniques de la haute région qui ont soutenu les Français.
Cependant il est clair que dès juillet 1950 les postes de la RC4 ne sont plus en mesure de verrouiller l'approvisionnement viêtminh depuis la Chine. De plus, ces postes imposent de lourdes servitudes.

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Tous les transports de matériel sur cette route sont assurés par des convois opérationnels qui ne vont pas au-delà de That Khé. Cao Bang et Dong Khé sont approvisionnés par air et sont complètement isolés.
Le 2 septembre 1950, Pignon et Carpentier reviennent sur leur position et décident d'évacuer Cao Bang et Dong Khé.

Le groupement Bayard commandé par le lieutenant-colonel Lepage au départ de Lan Son est chargé de se porter sur Dong Khé. Dans le même temps, la garnison de Cao Bang commandée par le colonel Charton doit entamer son retrait et rejoindre le groupement Bayard à Dong Khé. Une opération de diversion à partir du delta et en direction de Thai Nguyen est lancée avec pour mission d'occuper cette dernière sur la RC3.

Poste de Dong Khé ; photo Ecpad
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La chute de Dong Khé

Le 6 septembre 1950, jour où le général Alessandri reçoit les instructions pour évacuer Cao Bang, le Viêt Minh attaque Dong Khé. Les 300 défenseurs essentiellement du 3e REI sont submergés par les 10 000 hommes de Giap soutenus par une artillerie jusqu'alors inconnue.
À Lang Son, Lepage reçoit l'ordre de porter son groupement à That Khé. À Hanoi, le 1er BEP est alerté ; les légionnaires sont parachutés les 17 et 18 septembre sur That Khé.
L'attaque viêtminh est si rapide et d'une telle violence que les renforts n'ont pas le temps d'intervenir. Le Viêt-Minh aligne des unités de commandos de choc du TD 174 pour l'occasion. Le 18 au matin, malgré une résistance acharnée, le poste de Dong Khé tombe. Plus de cent défenseurs sont morts et seuls 1 officier et 31 légionnaires réussissent à percer les lignes viêtminh et à rejoindre That Khé.

Poste de That Khé ; photo Ecpad
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Le 18 septembre 1950, le général Carpentier apprend la chute de Dong Khé lors de sa visite à Lang Son. Il donne ses instructions au colonel Constans pour évacuer Cao Bang au plus vite.

Les combats qui se sont conclus par la chute de Dong Khê confirment les informations rapportées par le 2e bureau depuis plusieurs mois : les troupes de Giap sont nombreuses, le rapport des forces est très défavorable pour les Français.
De plus, l’ennemi est bien armé et organisé en un véritable corps de bataille bien commandé, réagissant rapidement.
Cependant, ces inquiétudes n’atteignent pas encore le Haut-commandement. L’idée que la qualité des bataillons français peut compenser en toutes circonstances la supériorité numérique de l’ennemi reste prégnante.
Loin de rassembler ses forces, le commandant en chef ne renonce pas à la prise de Thaï Nguyen où il a l’intention d’engager le gros de ses forces mobiles.

Général Carpentier en visite à Lang Son ; photo Ecpad
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Carte de la bataille de la RC4
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Le désastre de Cao Bang

En stationnement dans la région de That Khé depuis le 19 septembre ce n'est que le 30 que le groupement Bayard reçoit par radio les ordres du colonel Constans concernant l'opération "Tiznit".
Dong Khé doit être impérativement réoccupé avant le 2 octobre pour une mission ultérieure. Le but caché de cet ordre est l'évacuation de Cao Bang.
Le lieutenant-colonel Lepage émet de fortes réserves quant à cette opération qu'il considère comme très risquée compte tenu de la géographie du terrain et de la disproportion des forces. L'ordre lui est confirmé.

Lieutenant-colonel Lepage
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  Le groupement Bayard arrive devant Dong Khé le 1er octobre, mais n'engage pas le combat espérant une amélioration météorologique pour un parachutage de la section artillerie.
  Le lendemain Lepage reçoit à sa grande surprise l'ordre de ne laisser devant Dong Khé qu'un rideau de troupes et de contourner le poste pour se porter à Nam Nang pour le 3 octobre. Sa mission est de recueillir la garnison de Cao Bang.
  Lepage tente de contourner Dong Khé par l'ouest mais le Viêt Minh entame une large manœuvre d'encerclement par le sud. La colonne Lapage est contrainte de se réfugier à Coc Xa, un large cirque aux parois abruptes.

  De son côté, la colonne Charton quitte Cao Bang le 3 octobre et progresse lentement sur la RC4. 500 civils vietnamiens et chinois se sont joints à la garnison.
  Le 4 au matin, le colonel Charton apprend que la colonne Lepage n'a pas pris Dong Khé et qu'elle ne pourra pas venir à sa rencontre. De plus la route est truffée de tranchées anti camions creusées par le Viêt-Minh et est donc impraticable.
  On lui demande de quitter la route, d'abandonner le matériel, de s'engouffrer dans les massifs et de prendre la piste pour tenter de faire sa jonction avec le groupement Bayard.
  Les cotes 590 et 477 sont atteintes par la colonne Charton le 6 octobre au matin sans accrochage sérieux. Elle reçoit l'ordre d'y stationner en attendant que le groupement Bayard force le passage de Coc Xa et l'y rejoint.

  Le lieutenant-colonel Lepage confie au 1er BEP la mission de prendre l'étroit passage dans la muraille calcaire de Coc Xa surnommé "la Source". Sans appui aérien, sous une pluie battante l'attaque est lancée au matin du 7 octobre.
  L'assaut est l'un des plus sanglants de la guerre d'Indochine.
  Le 1er BEP , avec à sa tête le commandant Segretain et le capitaine Jeanpierre, a déjà vingt-trois mois de séjours au Tonkin lorsqu’il est largué les 17 et 18 septembre sur That Khê pour rejoindre le groupement Bayard.
  Il aligne alors 497 parachutistes. C’est donc une unité restreinte, mais composée d’hommes qui connaissent bien leur adversaire, et qui ont acquis une solide expérience sur le terrain.
  Le 1er BEP et le 11e Tabor laissés en « rideau » à Na Keo sont durement accrochés dans les combats des 3 et 4 octobre : seuls, 350 légionnaires rejoignent le groupement « Bayard » alors que le 11e tabor est définitivement brisé.
  Dans la nuit du 7 octobre, le 1er BEP se lance dans un combat d’une violence inouïe pour prendre « la Source ». Quand le jour se lève, le bataillon a perdu quatre-cinquièmes de ses effectifs, tués ou blessés.
Ce qui reste du bataillon a presque enlevé l’objectif. C’est alors que le capitaine Feaugas, commandant du 1er Tabor, prend la décision de faire donner l’assaut à « la Source ».

Colonel Charton
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Les Goumiers se ruent en avant en hurlant la "Fatiha"(3) pour se donner du courage. Les combattants du Viêt-Minh, surpris par cet assaut démentiel, lâchent prise.
Les hommes du 1er BEP ne sont plus qu’une centaine, soutenus par le 1er tabor, lorsqu’ils rejoignent la colonne Charton. Pourtant, les survivants se reforment immédiatement en unité de combat.

Après la jonction, l’après-midi du 7 octobre, le colonel Charton tente de mener en personne une reconnaissance pour chercher un passage à l’est vers Ban Ca. Il est blessé lors d’une embuscade et fait prisonnier.
Le soir, face à la situation désespérée, le lieutenant-colonel Lepage donne l’ordre de se mettre en marche et de tout tenter, par l’infiltration ou en combattant, pour rejoindre That Khê.
La nuit tombée, les deux groupements se mettent en marche en plusieurs colonnes. Toutes les formations sont accrochées par l’ennemi.
Le colonel Lepage est fait prisonnier, le commandant Segretain est blessé mortellement. Les colonnes Lepage et Charton sont anéanties.

Le bilan

Pour les Français le bilan, est très lourd : sur les 5000 hommes qui composaient les 9 bataillons des colonnes Charton et Lepage, les pertes s’élèvent à 1800 tués et à 2500 soldats prisonniers.
On ne compte que 700 rescapés, dont 23 hommes du 1er BEP avec le capitaine Jeanpierre.

Le 7 octobre au soir, le 3e BCCP (Bataillon colonial de chasseurs parachutistes) est largué sur That Khê avec l’ordre de recueillir et de faciliter le repli des rescapés, mission qu’il mène jusqu’au 10 octobre.
Ce jour-là à 10 heures, un convoi sanitaire part de That Khê vers Lung Phai : le Viêt-Minh a demandé de prendre en charge les blessés graves à l’occasion d’un cessez-le-feu conclu pour quelques heures.
Ce convoi est conduit par le professeur Huard, qui s’est porté volontaire, et par le médecin-capitaine Armstrong du 3e BCCP.
Malheureusement le convoi est de retour vers 18 heures, sans aucun blessé.
Peu après, le 3e BCCP reçoit l’ordre d’évacuer That Khê avec le reste des troupes et des civils. Formant l’arrière-garde, dans la panique et la confusion du repli, les hommes du 3e BCCP sont littéralement oubliés sur place.
À 6 km de That Khê, le Viêt-Minh a fait sauter le pont qui enjambe le Song Ky Kong. Lors du retrait, la colonne française franchit le fleuve grâce aux allées et venues de 6 embarcations du génie.
Dans la confusion, une coupure dans la colonne fait croire aux sapeurs que tous les éléments amis ont traversé alors que le 3e BCCP, formant l’arrière-garde, est resté sur l’autre rive.

À la fin du mois d’octobre 1950, à la suite des pourparlers menés par la Croix-Rouge, le Viêt-Minh accepte de rendre des prisonniers blessés à la France, à la condition qu’on vienne les chercher par avion à That Khê.
Bien que la piste de That Khê soit trop courte, le lieutenant-colonel Fontanges prend le risque de s’y poser et d’en décoller à pleine charge avec un Ju-52 en dépassant les limites de sécurité.
De nombreux blessés sont ainsi ramenés à Hanoï.

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La panique du Haut-commandement français

Devant l'ampleur du désastre le Haut-commandement est pris de panique. Le 17 octobre 1950 alors que rien ne laisse présager d'un quelconque danger sur la ville, Le colonel Constans fait évacuer Lang Son.
Pour éviter d'éveiller les soupçons de l'ennemi, le colonel donne l'ordre de n'effectuer aucune destruction des stocks avant l'évacuation complète de la ville.
C'est ainsi qu'une énorme quantité de vivres, d'armes et de munitions est abandonnée à l'ennemi. Les raids aériens qui suivirent n'en détruiront qu'une infime partie.
Laï Chau et Lao Kay sont évacués le 2 novembre et Dinh Lâp le 8 décembre. Dans la crainte d'une attaque imminente, les femmes et les enfants de Hanoï commencent à être évacués.

Conclusion

Avec cette première défaite militaire du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient dans une bataille d’envergure, le haut-commandement, les troupes françaises et l’opinion publique prennent brutalement conscience que le conflit indochinois s’est transformé en une véritable guerre.
La bataille de la RC4 a entraîné la mort de plus de 4 000 hommes et a montré la puissance de l’armée du Viêt-Minh qui peut dorénavant s’appuyer sur la Chine, dont la frontière avec le Tonkin est libre pour le passage des hommes et des armes.
Giap affirme bientôt pouvoir prendre Hanoï et le delta du fleuve Rouge.
L’optimisme affiché par le commandement français jusqu’alors se délite et la désignation d’un nouveau chef militaire s’impose.
Le gouvernement cherche à effacer ce revers en faisant appel à un homme providentiel et nomme le général de Lattre haut-commissaire et commandant en chef en Indochine.
Débarqué le 19 décembre 1950 à Saigon, accompagné de Salan, Allard, Cogny, Beaufre, il ramène un élan d’espoir au sein des combattants français.

Notes :
1) Troupes françaises en Extrême-Orient
2) Tonkin utile, province riche et principales bases françaises.
3) Chant où on remet son âme entre les mains de Dieu.

Sources :

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Date de création : 22/04/2019 15:34
Catégorie : - Guerre d'Indochine
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