Le monument de Dien bien phu

Le mémorial français de Diên Biên Phu.

Quand un homme décide que la mémoire de ses camarades ne doit pas s'effacer, il leur construit un monument. Rolf Rodel, le légionnaire qui a surmonté le mépris, l'indifférence et le dédain après la chute de Diên Biên Phu l'a fait.


Le sergent-chef Rolf Rodel, s’est engagé dans les rangs de la Légion étrangère le 17 avril 1950 et l’a quittée le 25 avril 1957.
Après avoir successivement servi à Sidi-Bel-Abbès puis Mascara, il part en Indochine à la 3e compagnie du 4e bataillon du 2e REI (régiment étranger d’infanterie).
De retour sur le continent africain, il rejoint la 15e compagnie du 4e bataillon du 4e REI. Il se porte volontaire pour un second séjour en Indochine.
Il vivra Diên Biên Phù comme chef du commando de la 10e compagnie du 3e bataillon du 3e REI.

Monument Rodel à Diên Biên Phu
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C’est en mars 1992 que Rolf Rodel retourne en Indochine pour la première fois, pour revoir les lieux des combats qu'il a connus pendant ses deux séjours.
Il emporte avec lui une plaque gravée : "À la mémoire de tous les légionnaires tombés au champ d’Honneur au cours des combats de Diên Biên Phù", qu'il dépose au Musée militaire de Diên Biên Phù.
D’autre part, il découvre une dalle de ciment, entourée d’une petite murette, érigée dans les années 80 par un particulier inconnu sur laquelle est inscrit : "Pour les morts de l’armée française à Diên Biên Phù".
Cette dalle jamais entretenue est abandonnée au milieu des champs de maïs, cassée, fêlée, sale, pourrie et envahie par la végétation ; la petite murette a en partie disparu.
À la vue de cette misère, il la restaure, la repeint et la remet à neuf avec les moyens du bord disponibles à Diên Biên Phù.


Après son retour en France, étant donné que beaucoup de monde a été mis au courant de ces faits, il espère que son histoire fera bouger les personnes concernées, ou incitera les autorités à entreprendre une action en faveur des morts et disparus d'Indochine.
Malheureusement, rien ne bouge car aucun gouvernement, aucun ministère concerné, ni personne ne s’est intéressé à faire, sur place, quelque chose de digne pour honorer les soldats morts pour la patrie.

Comme aucun corps n’a jamais été rapatrié de Diên Biên Phù vers la France, Rodel décide de créer et de construire lui-même et tout seul, à l’occasion du 40e anniversaire de la fin de la bataille de Diên Biên Phù et de la guerre d’Indochine, un véritable monument aux morts, digne de ce nom, sur l’ancien champ de bataille de Diên Biên Phù.

Il précise que son monument est dédié à tous ceux qui sont tombés au champ d’Honneur, "morts pour la France", c’est-à-dire à l’ensemble des troupes de l'armée française, y compris les tirailleurs, paras, commandos et supplétifs vietnamiens, les montagnards et les civils vietnamiens ou autres ethnies fidèles à la France, pendant toute la guerre d’Indochine, et non pas seulement aux légionnaires morts à Diên Biên Phù.
En ce qui concerne les Vietnamiens, il a été impossible de les mentionner, car ceux qui ont combattu avec l’Armée française et qui ont été lâchement abandonnés par la France ont été massacrés ou ont fini dans des camps de rééducation semblables aux goulags de l’ancienne URSS.

Seuls, les généraux Coullon, président de la Fédération des sociétés d’anciens de la Légion étrangère, Fouques, Duparc et Colcomb, commandant la Légion étrangère à Aubagne, le colonel Bonfils, vice-président national et président de l’ANAPI(1) Rhône-Alpes, et quelques amis sont au courant et approuvent son projet.
Le général Coullon remet à Rodel la somme de trois mille francs avec la mission de représenter tous les anciens légionnaires et de faire de son mieux pour honorer tous les soldats tombés en Indochine.

Alors, au début de l’année, chez lui à Lyon : Rodel dessine les plans du monument ; il choisit les textes définitifs et fait les maquettes des quatre plaques à fixer sur le monument.
Il fait traduire les textes en vietnamien et commande la gravure et sa fabrication. Il achète 25 kilos de peinture "spécial béton" et les outils nécessaires, car rien n'est disponible sur place, et envoie le tout, sauf les plaques, soit 36 kilos de fret par Air France de Lyon à Saigon.

En arrivant à Saigon le 2 avril apparaissent les premiers problèmes avec la douane vietnamienne, mais avec beaucoup de palabres, beaucoup de ténacité, beaucoup de patience surtout, et parfois l’aide d’un bakchich, il est possible d’obtenir ce que l’on veut.
Ensuite, il voyage en train de Saigon à Hanoi ; 1.700 kilomètres avec ses quatre-vingts kilos de bagages et avec des étapes à Nha-Trang, Tourane (Da Nang) et à Hué.

En arrivant à Hanoi, il prend contact avec les autorités pour obtenir l’autorisation de construction du monument, mais sans résultat, sauf l’accord et l’appui du directeur général des Musées militaires du Vietnam, un vieux colonel en activité, ancien du Vietminh à Diên Biên Phù, qui l’avait déjà aidé pour le dépôt de sa plaque en 1992.

Toujours à Hanoi il achète deux cents fleurs en plastique, car à Diên Biên Phù il n’y a pratiquement pas de fleurs, une grosse chaîne en fer forgé pour l’entrée de l’enceinte du monument et des tissus bleu, blanc, rouge, et vert et rouge, pour confectionner des rubans destinés à la cérémonie d’inauguration.

Ensuite, Rodel voyage de Hanoi à Diên Biên Phù, dans un 4x4 chinois de l’armée, 470 kilomètres sur l’ancienne RC 41 devenue aujourd’hui une piste en mauvais état, voyage de deux jours avec étape à Son La.

Le 24 avril, il arrive à Diên Biên Phù où les Vietnamiens se préparent aux festivités, défilé, etc.… du 40e anniversaire de leur victoire.
Il reçoit une invitation pour assister, le 7 mai, dans la tribune officielle des personnalités, au grand meeting en présence du général Giap et des autorités, mais il refuse cette invitation.

Rodel contacte les autorités du district de Diên Biên Phù et le président de la province de lai Chau, pour obtenir l’autorisation de construire le monument et la prolongation de son visa de séjour.
Ils ne sont pas très favorables au début, et Rodel rencontre beaucoup de difficultés et de réticences. Il réussit néanmoins à les convaincre et à les persuader du bien-fondé de son projet, en mettant l’accent sur l’importance que représente pour les anciens combattants et pour le peuple français de perpétuer la mémoire des nombreux morts de l’Armée française pendant la guerre d’Indochine.
Ils ont enfin admis et reconnu que la réalisation de ce monument était une cause noble et urgente après quarante ans d’oubli et de désintérêt.

Après accord du gouvernement et des autorités locales et au terme d'un mois d’attente, il a fallu obtenir l’accord de l’ambassade de France à Hanoi et celui du ministère concerné en France.

Enfin, le 14 mai, toutes les autorisations sont réunies, mais avec des restrictions concernant la taille du monument ; la hauteur de l'obélisque ne doit pas excéder 3.5 mètres au lieu des 6.5 mètres initialement prévus. L’ambassadeur a fait savoir au président de Lai Chau qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que Rodel réalise le projet lui-même.
Après avoir acheté un morceau de terrain et un champ de maïs pour pouvoir agrandir la surface de l’enceinte du monument, Rodel attaque les travaux en commençant par casser la vieille stèle et la murette qui l’entoure, en récupérant les deux plaques du souvenir qui y étaient fixées.

Le 26 juin, après six semaines de travaux, a lieu l’inauguration officielle du monument par Rodel lui-même, seul Français et seul Européen à assister à la cérémonie, en présence des autorités de Diên Biên Phù et de Lai Chau, d’anciens combattants du Vietminh et du Viêt-Cong dont le président et le vice-président de leur « Association des anciens combattants du Vietminh de Diên Biên Phù », de chefs thaïs et méos, de beaucoup d’habitants de Diên Biên Phù et de Hmong.
L’ambassadeur de France, prévenu et invité par Rodel pour présider la cérémonie n’a pas pu se déplacer.

Monument Rodel Diên Biên Phu
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Rodel a préparé le programme de la cérémonie d’inauguration qui commence par l’explosion d’une centaine de pétards, une coutume vietnamienne, qui chasse les mauvais esprits et qui porte bonheur par la suite.
Il prononce son discours d’inauguration aussitôt traduit en vietnamien. Vient ensuite le discours du président de la province de Lai Chau suivi d'une minute de silence.
Tous les Vietnamiens se sont décoiffés et se tiennent au garde à vous comme le fait Rodel. L'ancien légionnaire demarre sa radiocassette d'où sortent des chants traditionnels de la Légion étrangère en expliquant aux autochtones qu'il s'agit de chants dédiés aux morts.
Après la coupure du ruban bleu-blanc-rouge par le président de Lai Chau et par Rodel lui-même et le dépôt de fleurs qu'il a préparé auparavant, le vieux soldat dépose une couronne à titre personnel pour tous ses camarades légionnaires.
S'ensuit un dépôt de gerbes aux noms des associations patriotiques, dont une gerbe de roses rouges de la Légion étrangère pour tous ses morts ; une gerbe de l’ANAPI pour tous ses morts dans les camps de prisonniers ; et une gerbe aux noms des anciens combattants, le tout coiffé de rubans bleu-blanc-rouge ou vert et rouge.

Beaucoup de Vietnamiens dont les anciens combattants du Vietminh déposent des bouquets de fleurs et brûlent des bâtons d’encens à la mémoire des morts pour la France.

Après le pot de l'amitié, tous sont allés au cimetière du Vietminh pour déposer des fleurs.
Pour clore cette journée mémorable, un repas pris en commun est offert par les autorités de Diên Biên Phù.
 
Beaucoup de Vietnamiens n’ont pas compris la démarche et ont posé la question : " Pour quelle raison un simple sous-officier de la Légion étrangère, et non le gouvernement de la France, a entrepris la réalisation de ce monument aux morts ?"
Une question somme toute logique, fondée et raisonnable, mais à laquelle Rodel s'abstient de répondre.

Comme par hasard, trois jours après l’inauguration, le 29 juin 1994, le général Bigeard, en visite au Vietnam est de passage à Diên Biên Phù.
Il est accompagné de son éditeur, d’un caméraman d’Antenne 2, d’un journaliste d’Europe 1, de photographes et de journalistes.
Croyant trouver la vieille plaque de béton cachée quelque part dans les maïs, Bigeard a la surprise de découvrir le monument, et de ce fait, est le premier Français " ancien de Diên Biên Phù " à se recueillir.
L’émotion est grande, il embrasse le vieux légionnaire et le remercie ; ils ne peuvent retenir leurs larmes.

Général Bigeard et Rolf Rodel
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Rodel a établi et rédigé un contrat d’entretien du monument entre la direction du musée militaire de Diên Biên Phù et lui-même, moyennant une indemnité pécuniaire mensuelle.
 
Il existe aujourd'hui à Diên Biên Phù, sur l’ancien champ de bataille, un véritable monument aux morts, le premier et le seul au Vietnam et dans toute l’ancienne Indochine. Rodel est heureux d’avoir atteint, seul et sans aucune aide de personne, l’objectif qu'il s'était fixé.

Ce monument permettra d’une part d’honorer tous les soldats qui reposent encore pour l’éternité dans cette terre lointaine de Diên Biên Phù, quelque part, ailleurs, dans la brousse ou sous les rizières.
Il permettra d’autre part aux familles de disparus et aux sympathisants de se recueillir à la mémoire de tous ceux qui sont tombés au champ d’Honneur pour la France, et de leur rendre l’hommage qui leur est dû.

Ce monument permettra, espérons-le, aux jeunes et aux générations futures de ne pas oublier le sacrifice de tous ces soldats français qui ont laissé leur vie, là-bas, pour la France.

Le mémorial est érigé sur le site d'Éliane 2 devenu terrain de culture où près de 3000 Français sont morts.
Il se présente sous la forme d'un obélisque blanc entouré d'un muret. Ce n'est qu'en 1995 que l'état français est mis au courant de cette initiative.
Le sergent Rolf Rodel, quatre fois blessé sur le site de Diên Biên Phu, et fait prisonnier par le Vietminh, est cité à l'ordre de l'armée. Il profitera de sa retraite pour se rendre sur les positions qu'il a défendues bec et ongles en 1954.
Une inauguration officielle a été réalisée en 1999. Rolf Rodel n'a pu y assister ; il est mort le 5 janvier 1999.

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Note :

  1. Association Nationale des Anciens Prisonniers internés et déportés d'Indochine

Sources :

  • Chemin de mémoire Parachutistes.org
  • Ma guerre d'Indochine du général Bigeard
  • Rolf Rodel
  • Famille du général Bigeard
  • Musée de la Légion étrangère au Aubagne
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Date de création : 19/02/2019 18:41
Catégorie : - Guerre d'Indochine
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