De la stupeur à la riposte

De la stupeur à la riposte

La surprise fut totale. Et pourtant le gouverneur Léonard savait. Le directeur de la Sûreté Vaujour savait. Paris aurait du savoir après le rapport du 23 octobre. Le commandant en chef Cherrière était au courant.
Au courant oui, mais de quoi ? Le secret du jour J avait été bien gardé.
Une réunion de crise est organisée au gouvernement général pour faire le point. Les attentats ont fait peu de dégâts et un nombre réduit de victimes. C'est la simultanéité des opérations aux quatre coins de l'Algérie qui inquiète.
Les anciens rapports des RG, les informations collectées à Paris et en Égypte semblent indiquer que les opérations ont été coordonnées depuis Le Caire. Le nom de Ben Bella, ancien Messaliste et ancien leader de l'OS, est avancé.

Roger Léonard
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Après un inventaire rapide des moyens militaires disponibles sur place il est fait appel à la 25e DIAP(1) que Léonard et Cherrière avaient pourtant refusée la veille.
En outre, trois compagnies de CRS et de gardes mobiles sont dépêchées par avion. Les autorités tunisiennes promettent de restituer rapidement les troupes actuellement en opération en Tunisie dont le bataillon de marche du 15e RTS ainsi que le 9e bataillon de Spahis à cheval.
Des opérations de police sont lancées en Oranie et dans l'Algérois, et une opération militaire est menée dans les Aurès et en Kabylie, là où l'insurrection avait été la plus dure.
 
Le village d'Arris isolé et encerclé par les fellaghas se met en position de défense sous la direction de l'ethnologue Jean Servier qui est aussi officier de réserve. Il s'agit de tenir jusqu'à l'arrivée des renforts.

La 25e DIAP est attendue avec impatience dans les Aurès. Elle est commandée provisoirement par le colonel Ducourneau un ancien chef des commandos parachutistes. Dès son arrivée, un bataillon du 18e RIPC(2) est envoyé à Arris et un autre à Foum Toub.
Un bataillon du 1er RCP(3) se porte dans la cuvette de Bou Hamama et un bataillon de parachutistes coloniaux sur T'Kout pour relever les légionnaires.
Les hommes de l'ANL se méfient de ce nouvel adversaire et refusent le combat frontal.

Pendant ce temps dans toute l'Algérie une opération policière est menée pour arrêter les membres influents du MTLD à qui on attribue la paternité des attentats. Cela fait bien entendu les affaires du FLN qui reste la seule force politique indépendantiste.
Les Renseignements généraux et la DST ne se bornent pas à exécuter les ordres du gouvernement contre le MTLD. Ils continuent leurs investigations sur les terroristes qui ont déclenché l'insurrection et vont mener un travail remarquable.

Á Alger, les hommes de Vaujour vont démanteler en dix jours seulement l'organisation algéroise que Bitat et Bouadjadj ont eu tant de mal à mettre au point.
Le 6 novembre 1954, Zoubir Bouadjadj est arrêté par la DST ; des documents compromettants sont découverts à son domicile. Plusieurs participants aux attentats ont été interpellés et ont donné le nom de Bouadjadj.
Après un interrogatoire musclé, tout le commando est démantelé. Yacef Saadi chef du commando de réserve d'Alger et Rabah Bitat responsable de la zone algéroise n'ont pas été identifiés.
Dans l'Oranais, le préfet Lambert réussit en quelques jours à arrêter 38 membres du FLN qui avaient participé aux attentats du 1er novembre. Dans cette région, quinze jours après l'insurrection le mouvement n'était plus qu'un souvenir.
Il faudra attendre un an avant que les attentats reprennent.

Á Batna, le commissaire principal Norbert Courrieu perquisitionne au domicile de dix membres du PPA MTLD. Tous sont appréhendés à des fins d'interrogatoire à l'exception de Hadj Lakhdar, de Bouchemal et de Omar Ben Boulaïd.
Chez Bouchemal une liste complète des membres de la police de Batna et quelques documents adressés à une organisation clandestine sont découverts.
En outre, dans la nuit du 1er au 2 novembre, un informateur anonyme signale à Courrieu la présence la nuit précédente d'autochtones armés. La voiture des frères Boulaïd a été repérée près du pont qui a sauté à quelques kilomètres d'Arris.
L'un des hommes arrêtés, de tendance centraliste, dévoile l'organigramme complet des responsables de la zone de Batna. Il précise que le chef est Mostepha Ben Boulaïd.
Ammed Bouchenal traumatisé par la vie de montagnard qui se profile se rend à la police et dévoile tous les scénarii des attaques sur Batna. Il donne les noms des cadres des montagnards de Ben Boulaïd.
Il affirme également que conformément aux informations données par Mostepha Ben Boulaïd les ordres viennent du Caire.

Le commissaire Courrieu a remarquablement travaillé. L'organisation du CRUA devenu FLN de Batna est elle aussi démantelée.
Mais dans les Aurès, c'est dans la montagne que la bataille va se dérouler, entre hommes de l'ALN et parachutistes.

Dans les Aurès les autorités ne réussissent pas à déloger les fellaghas malgré les nombreuses opérations de ratissage. Il est même envisagé un certain temps d'effectuer un bombardement après évacuation de la population.
L'inertie des chaouïas(4) qui ne se bousculent pas pour rejoindre la zone de sécurité conduit à l'annulation du projet par Léonard. Mitterrand dira de lui qu'il s'est dégonflé.
Le ministre de l'intérieur soucieux de voir de près ce qui se passe en Algérie se rend sur place. Lors de son passage, des divergences de vues avec Léonard vont conduire au remplacement de ce dernier.

Une fois débarrassées les tables de banquet, une fois terminées les grandes manoeuvres à la Cherrière et les susceptibilités apaisées, Ducourneau enfin seul sur son terrain décide de passer à l'action.
Vivant dans le Bled au milieu de la population il a vite compris qu'elle était acquise à la cause des insurgés. Il décide d'inverser la tendance en s'attaquant à Grine Belkacem et à ses bandits.
Ducourneau-la-Foudre contre Grine-Beau-Visage. Le match sera court, car Ducourneau et ses bérets bleus vont être servis par la chance.
Après avoir localisé la zone où les hommes de l'insaisissable chaouia opèrent, il lance ses paras un peu au hasard en recherchant la confrontation.
Lundi 19 novembre, le 1er bataillon du 18e RIPC est en patrouille sur l'axe Arris-Batna. À la sortie d'un village, la compagnie Grall essuie des coups de feu. Elle se met en position de combat. La compagnie est clouée au sol par un feu nourri en provenance des crêtes.

Opération dans les Aurès
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Une autre compagnie du bataillon progresse vers les crêtes en se déplaçant de buisson en buisson et de rocher en rocher. Pendant ce temps Grall envoie un message radio à Ducourneau qui organise rapidement les renforts.
Dans l'après-midi tout le monde est en place. L'assaut est lancé au crépuscule. Au bout de quelques minutes, le feu cesse. Vingt-trois rebelles sont tués et dix-huit se rendent. Chez les paras on dénombre un mort, trois blessés graves qui décéderont à l'hôpital et sept blessés plus légers.
Grine Belkacem figure parmi les morts. C'est la consternation chez les Chaouias qui le croyaient indestructible. Le mythe des paras naît à Arris.
Les déploiements de force, les paras qui circulent dans des douars(5) où aucun Européen n'était passé depuis des années et ce combat qui entre dans la légende orale, créent un certain flottement dans la population des douars réputés hostiles

Grine Belkacem
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De leur côté les partisans chaouias n'affichent plus la belle certitude du 1er novembre. Ben Boulaïd qui s'est replié avec son groupe au sud d'Arris n'a pas l'intention de perdre son influence sur la population.


notes :

  1. 25e Division d'Infanterie Aéro-Portée
  2. 18e Régiment d'Infanterie  Parachutiste de Choc jusqu'en 1956 puis 18e Régiment de Chasseurs Parachutistes jusqu'en 1961
  3. 1er Régiment de Chasseurs parachutistes
  4. Groupe ethnique de Berbères vivant principalement dans les Aurès
  5. Groupement d'habitations, fixe ou mobile, temporaire ou permanent, réunissant des individus liés par une parenté fondée sur une ascendance commune.

Sources :

  • les fils de la Toussaint de Yves Courrière
  • wikipédia.org
  • wikimedia common
  • Chemin de mémoire parachutistes.org

Date de création : 22/02/2018 10:00
Catégorie : - Guerre d'Algérie- La pacification
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